1/11/2020 : Libertés et interculturalité

L’horreur des assassinats récents (le professeur d’histoire et les visiteurs de la cathédrale de Nice) et l’apparente solitude de leurs auteurs empêchent tout raisonnement un peu calme. Les polémiques enflent et les invectives fusent. Le bruit de fond global lié à la Covid19 renforce l’impression de successions de calamités divines, de persécutions dont nous serions quelque part coupables, de châtiments plus ou moins mérités. Bref, chez ces gens-là, Monsieur, on ne pense plus, on crie! (clin d’œil à Jacques Brel)

Des universitaires de l’AFEA (Association Française d’Études Américaines) s’empoignent autour des déclarations du ministre qui fustigeait l’islamo-gauchisme dont les origines seraient à rechercher parmi les réflexions intersectionnelles des universités nord-américaines. D’autres (une centaine dont étonnamment des anthropologues comme Jeanne Favret Saada), à l’opposé, soutiennent ce même ministre et condamnent « le prêchi-prêcha multiculturaliste ». REGARDS, dont les origines sont universitaires, ne peut que se sentir visé par cette dernière condamnation.

Pourtant ce devrait être à ce moment que nous devons garder notre sang froid et poser un peu calmement les termes des débats. Comme le fait remarquablement François Héran dans sa lettre aux professeurs d’histoire pour préparer une rentrée à coup sûr délicate. On peut ne pas le suivre sur toutes ses affirmations, mais au moins pose-t-il clairement les termes du débat : Ne pas confondre « liberté d’expression » et « expression de la violence ».

De fait, Charlie Hebdo le premier a usé de la censure en excluant en 2008 Siné de sa rédaction sous l’accusation d’antisémitisme. Cette liberté éditoriale est bien entendu sacrée, mais elle renforce l’idée de responsabilité des publications effectivement portées par l’hebdomadaire. Comme l’écrit François Héran, tous les dessins ne se valent pas et, du reste, les censures implicites que sont le discrédit de l’auteur, la faible diffusion, etc., sont terriblement efficaces pour filtrer les contenus.

C’est évidemment le regard du lecteur qui leur attribue une telle valeur de violence. En soi, quelques traits graphiques, quelques couleurs n’ont pas de caractère violent, ils ne blessent pas physiquement et s’ils le font psychiquement, c’est l’œuvre du cerveau qui les contemple. Lors des débats scolaires qui suivirent les attentats de Charlie, un enseignant fit remonter une phrase de lycéens très éclairante : « Finalement ils ont assassiné des papys qui dessinaient des mickeys. » De fait, il n’y a dans ces dessins objectivement pas plus de volonté transgressive que des zizis griffonnés par des adolescents boutonneux sur des panneaux de signalisation. Et encore, on a la liberté de ne pas acheter Charlie, alors qu’on est contraint de voir le panneau de signalisation.

Mais il ne faut pas non plus totalement absoudre leur auteur adulte et responsable. Tentons d’évaluer notre propre capacité à supporter des dessins, quelle serait la limite de l’obscénité que nous considérerions comme infranchissable (pornographie, pédophilie, zoophilie politique, etc.) ? Et posons nous la question de leur apparition dans un univers de publications que nous considérons comme potentiellement ennemie. Quelles auraient été nos réactions ? Certainement pas de s’armer d’un sabre, mais à coup sûr une grande indignation, doublée d’humiliation. Et il n’y a pire conseillère que l’humiliation. S’il ne s’agit nullement de justifier, ni de minimiser l’horreur, il convient d’en saisir les mécanismes profonds pour tenter de prévenir la récurrence de tels événements.

François Héran cite Paul Ricoeur : « [L’éducateur moderne] n’a plus à transmettre des contenus autoritaires, mais il doit aider les individus à s’orienter dans des situations conflictuelles, à maîtriser avec courage un certain nombre d’antinomies. » Ne serait-ce pas une des définitions de l’interculturalité ? Loin d’un prêchi-prêcha, une vraie méthode pédagogique.

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