14 juin : au tour de la Police !

Depuis un mois, on en est au déconfinement. Déconfinement des corps et des esprits.

Est-ce un hasard? La mort de George Floyd, alors qu’elle est loin d’être un phénomène isolé, a fait un buzz d’enfer en remettant à la une le thème du racisme policier et des violences ciblées. Au-delà de l’importance cruciale de penser cette violence, quelle peut être la raison de ce soudain succès, alors même que le comité de soutien pour Adama Traoré semblait s’essouffler ?

Il semble que les clivages alimentés, voire engendrés, par le confinement soient devenus soudainement insupportables, au même titre que les forces censées les mettre en oeuvre en vérifiant les attestations, opérant des barrages routiers, bref que celles et ceux qui polluèrent la vie quotidienne en donnant un air d’état totalitaire à l’ensemble du pays. Les rancœurs liées aux violences contre les gilets jaunes resurgissent, presque comme un retour de la violence du confinement qui semblait (?) tenter de contenir la révolte amarile. Les injustices sociales (et donc ethniques) vécues par les confinés se retournent contre celles et ceux qui ont été chargés de le mettre en oeuvre. Et, symbole loin d’être anodin, les grandes figures (on dirait aujourd’hui « les décideurs ») glorifiées par la Nation voient cette gloire contestée pour leur passé esclavagiste ou colonialiste. Pures coïncidences ou pourrait-on mettre un sens dans tout cela?

Bien entendu, les forces de l’ordre sont soumises comme tous les travailleurs de première ligne à la logique des stéréotypies transmises par l’osmose des stages, habitus acquis dans toutes les professions et décrits dans le dernier ouvrage. Bien évidemment, ces stéréotypies sont influencées par l’histoire de chaque pays et la ségrégation états-unienne n’est pas de même nature que le colonialisme français. Mais dans les deux cas, on assiste à un retour du refoulé qui s’opère concrètement du coté de la force légitime et qui guide l’analyse du coté des opposants. Le déconfinement ne fait rien d’autre que de lever le couvercle qui a maintenu la marmite sous pression pendant 55 jours.

Que les forces de l’ordre aient des interventions ciblées ne surprend personne, que ces interventions « ramènent » des éléments tangibles non plus, entretenant l’illusion du bien fondé du ciblage initial. On ne trouve que là où on cherche. Si on n’en est pas à accuser les forces de l’ordre de racisme explicite et organisé (en dehors de quelques personnes normalement assez facilement repérables et neutralisables, néo nazis et autres, au même titre que tous les domaines de première ligne, même au sein de la santé adulée ces dernières semaines) mais de système global de création et d’entretien de stéréotypies. Que rien ne soit fait, ni dit par les hiérarchies pour lutter contre cette auto-confirmation laisse évidemment pantois. La chasse aux racistes est certes essentielle, mais elle ne suffit absolument pas.

Sans vouloir ouvrir un débat qui dépasse le cadre de l’interculturalité, il semble clair que la proximité, le travail éducatif, le partage de moments non institutionnalisés était de nature à favoriser les relations entre la population et sa police, et que vouloir réduire les missions de cette dernière au « cœur de métier » de lutte contre la délinquance implique de transformer potentiellement tout être en délinquant, comme, dans son domaine,  le Dr Knock transforme tout bien-portant en malade. Et nous avons tous vécu pendant le confinement cette sensation de « délinquer » par le simple fait d’exister et de marcher dans sa rue. Culpabilité plus refoulé, crée le cocktail détonant, surtout du « bon » côté de la matraque.

Comment s’en sortir, comment dépasser les revanches des confinés sur leurs autorités, et, plus globalement comment aborder ces sujets qui travaillent la société française depuis un demi siècle?

Comment surtout faire en sorte que ce combat ne soit pas qu’un feu de paille pré estival, chargé de canaliser comme en un exutoire toutes les expressions de frustrations nées de ces 55 jours? On va tondre les racistes puis on part (enfin) à la plage?

Car là est l’enjeu: la rentrée de septembre et son cortège de chômage, suicides, dépressions, lié à la crise économique, pour le coup vraiment « sans précédent », contrairement à la crise sanitaire qui ne faisait que reproduire d’autres pandémies grippales plus mortelles -1969 la plus meurtrière, 2009 la dernière en date (faut-il y voir avec la grippe espagnole de 1919 un sort s’acharnant sur les années en 9?) Sans doute est-ce un « sans précédent » pour cette génération.

Devant cette catastrophe de l’emploi précaire, cette disparition des petits boulots à la marge entre le formel et l’informel, sur lesquels reposent tant de familles, l’Autre redeviendra un bouc émissaire facile, et George Floyd sera oublié.

 

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