14 juin 2018 : Deux expositions en miroir au Quai Branly

Les mezzanines Ouest et Est de ce musée portent chacune une exposition qui fait écho à l’autre. Attiré par celle appelée « le magasin des petits explorateurs« , à l’Est et ayant l’objectif de montrer comment la colonisation se donnait à voir dans les livres et bandes dessinées pour enfant, je suis allé aussi voir l’autre, à l’Ouest qui porte sur les « peintures des lointains », comment les peintres ont figuré ces mêmes pays colonisés.

Alors qu’on ne peut croire à une coïncidence, malgré leur simultanéité, ces deux expositions n’ont rien en commun. Mais peut-être s’agit-il effectivement d’une coïncidence, chacune consacrant une pièce entière à Paul et Virginie, engendrant un indéniable sentiment de redondance. Se pourrait-il qu’il y ait une tel cloisonnement dans les bureaux de ce musée qu’on ne se concerte pas entre l’Est et l’Ouest? Une nouvelle guerre froide s’y déroulerait-elle à notre insu? Le pire est que celle des peintures des lointains a précédé l’autre de 5 mois. On ne se visite même pas mutuellement?

Déjà la muséographie des bandes dessinées rend la visite très malaisée, les vitrines ne sont pas à plat mais en profondeur, rendant la lecture des phylactères difficile, l’éclairage étant par nécessité très faible.  Les thématiques ne sont le plus souvent pas clairement identifiées, et, ô sacrilège, le Tintin au Congo présenté date de 1970, une édition expurgée.

Surtout autant les peintures sont décortiquées selon les grilles de lecture actualisées : exotisme, altérité, condescendance, propagande, permettant de saisir comment la peinture fut à la fois instrument et objet de la colonisation, autant les bandes dessinées font l’objet de commentaires d’une très grande platitude.

On y parle de « clichés », de « stéréotypes », de « poncifs » sans les décrire, et surtout sans adjoindre leur nécessaire décryptage. Or, toute représentation est fondée sur des stéréotypes, qui fondent le geste artistique. La bande dessinée avec ses bulles concises et ses cases savamment mises en scène repose entièrement sur l’invocation (la convocation) des stéréotypes enfouis dans l’imaginaire du lecteur. Laquelle convocation renforcera leur validité, ce qui fait toute la puissance politique de ces lectures pour enfants.

Ainsi le fait de souhaiter « recontextualiser les discours » pour en minimiser la portée est un contre sens. C’est omettre que les discours racistes étaient loin de faire l’unanimité, de très nombreux textes défendent en effet dès le 17ème siècle des propositions antiracistes. Nulle part dans cette exposition n’est fait mention de propagande réfléchie, hormis deux exceptions notables: la notion de cannibalisme et celle plus subtile d’enfant sauvage au travers de Tarzan. Pas non plus d’explication des raisons concrètes pour lesquelles les vignettes et chromos des explorateurs étaient distribués par les fabricants de chocolat, pur produit de la colonisation.

On oublie le mot même d’imaginaire, sauf dans le petit dépliant à propos des cartes réclames et des Playmobil. Pourtant les imaginaires des enfants sont encore plus vulnérables que ceux des adultes de l’autre exposition qui, elle, fait très souvent directement référence à cet imaginaire collectif que vise les propagandistes. Or là était l’enjeu fondamental de cette exposition, et ce qui j’y étais venu chercher: les origines de la pensée coloniale dont nos imaginaires contemporains gardent encore les traces.

L’introduction du petit document d’accompagnement ne dit pas autre chose:
« Prenons conscience de la manière dont nous décrivons l’autre. Notons comment réagit notre inconscient, nourri des images reçues dans notre enfance et notre quotidien. » C’est malheureusement raté.

On aurait vraiment gagné à mêler les deux expositions avec les commentaires de l’Ouest appliqués aux objets de l’Est (sans sous entendu géopolitique!) et une meilleure présentation muséographique. Mettre les images d’adultes peintres en regard des bandes dessinées juvéniles aurait eu un tout autre impact.

Photo: André Herviault : Le moniteur d’éducation physique dit aussi Visite au mandarin 1930-1931

 

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*