4 septembre 2017: expat or not expat?

Un post intéressant d’Anne-Laure Fréant sur Linkedin aborde la question importante du retour des expatriés. Assez souvent en effet, pointe-t-elle, l’expatriation est mal accompagnée et encore plus le retour en France. Les soucis rencontrés vont des tracas administratifs aux sentiments d’incompréhension dans un monde qui ne vous comprend pas,  jusqu’à la conviction d’un décalage profond avec une société qu’on ne comprend plus. Ayant vécu plusieurs retours de ce type, en provenance d’espaces très éloignés de la société française, j’ai eu l’occasion de sentir tout ce malaise qu’Anna-Laure Fréant décrit. Pour autant, je ne crois pas que l’analyse doit se limiter au seul retour. Elle doit inclure les conditions de départ et l’expérience locale.

Le retour est toujours dur en effet, mais il le sera encore plus si le départ initial n’a pas été vécu comme il aurait dû, c’est-à-dire comme un deuil. On ne nage jamais deux fois dans le même fleuve disait un commentaire de ce même post, et cette réalité doit être prise en compte. Elle exige une préparation lors du saut dans l’avion.

Penser dès l’aéroport: Je pars et les années vont s’écouler, je verrai autre chose, mes représentations vont changer, ne serait-ce que parce que j’aurai pris quelques années… « Ma maladie est tropicale  » chantait un revenu (Etienne Chicot) dans les années 80. Ayant passé son enfance en Afrique, il n’avait, bien entendu, rien pu préparer et s’est trouvé projeté dans une  société qui lui était incompréhensible, avant de se faire une place sur les écrans.

En réalité, le retour d’expatriation engage à proprement parler une relation d’interculturalité, bien au-delà des tracas administratifs ou des vraies discriminations genre fourmi à la cigale: « tu t’es barré? eh bien ta place est prise… » L’interculturalité, c’est admettre que (et ce malgré la communauté de langue et de nationalité) l’autre ne pense pas comme soi et surtout que c’est normal, même si naguère on s’entendait comme deux larrons en foire. Les expériences vécues à distance ont précisément créé une distance entre les représentations mutuelles engendrant des difficultés nouvelles à se faire entendre et à comprendre.

L’effort doit être constant pour réfléchir en termes de « situations d’altérité » bilatérale, sans imputer à tel ou tel une quelconque responsabilité ou culpabilité. Les identités se reconstruisent en effet en permanence, quel que soit le statut (expat, impat, migrant, etc.). Dans ce même laps de temps, les représentations du pays d’origine ont elles aussi évoluées (On peut imaginer le désarroi au retour d’un expatrié parti avant les années noires des attentats contre Charlie Hebdo, l’Hypercasher, le Bataclan…), source d’incompréhension, de malentendu, voire de sentiment de ne plus faire partie de la collectivité… On a vite fait aussi (et ce d’autant plus que l’expérience était exotique, prestigieuse ou « héroïque ») de se replier sur une magnification de l’expatriation passée, se rendant encore plus agaçant aux yeux des « restés ». Cercle vicieux.

Ce deuil préalable devrait être un incontournable de l’expatriation et, pour avoir aussi accompagné des humanitaires dans cette démarche, j’a pu constater à quel point l’absence de telle réflexion agit comme une drogue, les poussant à repartir sans cesse à la quête, mais de quoi? D’une fuite d’eux-mêmes sans doute, sous couvert d’adrénaline ou d’un étourdissement comme une ivresse amnésique. De fait, plus les conditions d’expatriation sont éloignées du contexte d’origine (humanitaire, guerre, etc.) ou avec la volonté affirmée de se tenir à l’écart du milieu expatrié local (ambassades, etc.), plus le décalage sera grand, mais n’était-ce pas le but initialement (mais inconsciemment) poursuivi par le départ?

Face à ces difficultés, la victimisation, comme dans de nombreux cas, ne servira à rien. Au contraire, psychologiser tout et n’importe quoi revient à infantiliser, tout comme faire appel à un Etat qui n’en peut mais sur des sujets qui ne sont plus de sa compétence. C’est d’une prise de conscience existentielle donc strictement individuelle dont on a besoin dès le départ et au retour. Comprendre qu’il n’existe aucune culture spontanément accueillante de l’Autre tant à l’aller qu’au retour, « l’enfer c’est les autres ». Savoir prendre conscience que des efforts personnels de mise en synergie des représentations sont indispensables et ne dépendent nullement des bonnes volontés des autres.

Dans ce cadre, l’apprentissage de l’abord de l’Autre acquis durant l’expatriation dans les meilleurs des cas peut être un formidable outil à mobiliser pour réussir à revenir changé au sein d’une société elle-même modifiée malgré les apparences d’homogénéité. Et qu’en fin de compte, cette expérience renvoie banalement à la prise de conscience de la totale solitude existentielle.

Mais il n’y a rien de nouveau sous le soleil : Heureux qui comme Ulysse…

1 Comment

  1. Intéressante question, en effet. L’être humain partant avec sa tête, qu’il ne peut pas laisser sur une étagère, les difficultés qu’il cherchait éventuellement à laisser derrière lui seront bel et bien là lors de son séjour à l’étranger, même si quelquefois elles paraissent moins criantes. Et s’il ne les traite pas pendant son séjour à l’étranger, il les retrouve en rentrant. Je ne pense pas qu’un deuil soit possible avant le départ, mais une mise en réflexion est en effet fort utile pour anticiper et essayer de « préparer » un tant soit peu son retour.

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