1er août 2017 La laïcité: un outil de pacification sociale

Le principe de laïcité est régulièrement convoqué pour faire barrage à ce qui semble d’excessives références religieuses ou de comportements pouvant porter préjudice singulièrement aux soins. C’est faire un bien mauvais usage d’un concept qui est en réalité un pacificateur social.

Dès son origine, qui date de l’Antiquité, la notion de laïcité signifie « hors des religions », c’est-à-dire hors des dogmes. La fameuse réponse du Christ à qui on demandait s’il était licite de payer des impôts aux romains : « Rendre à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu » était une tentative de séparation entre le transcendant et l’immanent qui a fait l’objet de débats millénaires au sein de toutes les religions (Avérroès pour l’Islam, Spinoza pour le Judaïsme, etc.).

Cette séparation a mis longtemps à se concrétiser dans une législation spécifiquement française, qui a débouché sur la loi de 1905. Celle-ci, après une lutte de pouvoir féroce entre l’Eglise et les Républicains, ne faisait en réalité rien d’autre que d’autoriser toutes les religions, l’Etat s’interdisant d’en favoriser une, mais, en regard, interdisant aux religions de s’ingérer de quelconque façon dans les affaires publiques. Il peut être utile d’en rappeler certains passages:

« ?Article 1
La République assure la liberté de conscience.

Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après.

?Article 2
La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte.

?Article 26
Il est interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l’exercice d’un culte.

?Article 28
Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions.

?Article 31
Sont punis de la peine d’amende […] et d’un emprisonnement de six jours à deux mois ou de l’une de ces deux peines seulement ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l’auront déterminé à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d’une association cultuelle, à contribuer ou à s’abstenir de contribuer aux frais d’un culte.

?Article 32
Seront punis des mêmes peines ceux qui auront empêché, retardé ou interrompu les exercices d’un culte par des troubles ou désordres causés dans le local servant à ces exercices.

?Article 34 (modifié en 2000)
Tout ministre d’un culte qui, dans les lieux où s’exerce ce culte, aura publiquement par des discours prononcés, des lectures faites, des écrits distribués ou des affiches apposées, outragé ou diffamé un citoyen chargé d’un service public, sera puni d’une amende de 3 750 euros. et d’un emprisonnement d’un an, ou de l’une de ces deux peines seulement.

?Article 35
Si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile. »

La véritable portée de la laïcité est donc de garantir à chacun sa liberté de croire ou de ne pas croire (de gérer son rapport intime avec la transcendance) et pour l’Etat, de s’abstenir d’un quelconque prosélytisme. Elle n’a ainsi d’exigence qu’à l’égard des agents de service public qui doivent montrer une stricte neutralité à l’égard des religions, quelles qu’elles soient, et de ne rien montrer de leur propre appartenance religieuse. Cette séparation stricte entre le pouvoir immanent et la transcendance est un gage de pacification car l’Histoire et l’actualité sont là pour démontrer quelles passions irrationnelles peuvent se déchaîner au nom d’une transcendance dogmatique !

S’ajoute à cette protection la liberté de blasphémer, donc de critiquer les dogmes dans les limites de l’indécence, la discrimination ou la diffamation.

Cette idée de séparation entre les pouvoirs immanent et transcendant est loin de faire l’unanimité autour de la planète. Elle relève même d’une sorte d’exception française dont l’histoire religieuse a été particulièrement violente. Ainsi, même en Europe, les constitutions d’Andorre, de Grèce, d’Irlande, de Monaco, de Norvège ou de Suisse mentionnent explicitement la référence à une religion soit d’Etat, soit majoritaire. Les mots « laïc » ou « séculier » n’apparaissent que dans les constitutions népalaise, russe, turque, et de la majorité des pays subsahariens lusophones et francophones.

Les autres constitutions vont de la soumission totale au pouvoir religieux comme le Bhoutan dont le drapeau est mis en exergue (« La moitié orange du drapeau personnifie la pratique religieuse: le pouvoir spirituel des doctrines Bouddhistes se manifeste dans le Kargyu et les sectes Nyingma. Le dragon symbolise le nom du Royaume (Druk) et sa couleur, la pureté du blanc, indique la fidélité des nombreux groupes ethniques et linguistiques du pays. La bouche grondant exprime la force sévère des déités masculines et féminines protégeant le Bhoutan, tandis que les bijoux étreints dans ses griffes symbolisent la richesse et la perfection du pays. ») jusqu’à la « liberté de croyance » (Colombie) en passant par de très nombreuses nuances de ce rapport : « Dieu est au-dessus de l’Etat« (Soudan), « L’Union reconnait le bouddhisme comme la religion la plus pratiquée » (Myanmar), etc.

Ce constat doit motiver un gros effort pédagogique pour expliquer le sens et les limites de la notion de laïcité aux personnes issues d’univers politiques dont elle est totalement étrangère.

C’est ainsi que les gérants d’un bar (filiale d’un bar parisien similaire) au Myanmar ont écopé en 2015 de peines de prison ferme pour avoir publier l’affiche ci-contre. Bouddha avec des écouteurs, c’en était trop!

Lorsqu’elle invoquée à contre usage, la laïcité peut être ressentie comme un dogme oppressant suscitant des réactions de rébellion parfois violentes. En effet, régulièrement, on entend convoquer la laïcité pour parler de la place de la femme dans la société des droits de l’homme, ou d’autres éléments sociétaux d’apparence religieuse.

Pour éviter tout contre sens et confrontation de dogme contre dogme, il est donc important de réaffirmer aussi les limites de la laïcité. Ainsi, à aucun moment elle ne prétend gérer la place et le rôle des femmes dans la société. En 1905, ces dernières n’avaient pas le droit de vote… De même, la laïcité n’a rien à voir avec la défense du concept global des « Droits de l’homme » dont elle fait cependant partie par son autorisation de la liberté de penser.

Ces constats au demeurant ne dédouanent nullement le citoyen de la nécessité de militer et d’agir pour l’accroissement de la liberté des femmes et l’élargissement des droits de l’homme, domaines jamais définitivement acquis, et en réalité, menacés à chaque instant. Mais ce combat militant ne doit pas se vêtir d’atours abusifs en brandissant une prétendue « laïcité », laquelle n’a jamais abordé ces sujets et bien plutôt se placer sur le terrain adéquat: la liberté d’expression et de blasphémer, les droits de l’homme, la place et le rôle de la femme dans la société, etc.

Enfin, la laïcité ne prétend pas décider de la validité de tel ou tel culte. Tant que celui-ci ne tombe pas sous le coup de la loi antisecte, la laïcité garantit son libre exercice. Raëliens, révélateurs d’Arès et autres Mandaroms, ont autant droit à avoir pignon sur rue que les religions classiques (dont les mythologies sont aussi parfois fantasques).

Le fond de la question de la laïcité est plus d’ordre anthropologique de chercher à bien séparer les outils et armes immanents (ici et maintenant, le matériel) de l’abstraction philosophique de la transcendance (Dieu et ses avatars,  idéologies dogmatiques totalitaires telles que celles du XXème siècle, de Staline à Pol Pot en passant par Hitler (tous les ismes…) etc.).

En effet, la légitimation des actes immanents au nom d’une quelconque transcendance a vite fait de confondre « désaccord », « litige », « conflit » avec la notion d’impureté, renvoyant la seule lumière et la seule pureté à sa propre abstraction. Les couples anthropologiques « dedans-dehors », « eux-nous », « propre-sale » avec « pur-impur », sont des éléments opérants depuis la nuit des temps. Au nom de cette pureté, on sait encore une fois quels massacres ont été, sont encore et seront commis avec une absolution autoproclamée.

Dans ce cadre, on doit concevoir la séparation des  pouvoirs immanents et transcendants comme une lutte salutaire contre le concept de pureté qui en soit n’a rien d’humain. La nature n’a que faire de la pureté, la vie est issue de la noble pourriture qu’elle même engendre.

La laïcité est donc à ce titre non pas un dogme supplémentaire qui s’opposerait à d’autres (singulièrement religieux) dans une logique renouvelée de pureté-impureté, mais aux antipodes, un formidable outil de pacification sociale.

Cet outil doit être protégé à la fois de ses ennemis qui souhaitent injecter de la transcendance dogmatique dans les actions immanentes, et de ses thuriféraires zélotes qui en dévoient le sens et donc l’affaiblissent.

Voir aussi le samedi de REGARDS qui fut consacré à la laïcité

Stéphane Tessier

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