1/07/2016 Étienne Le Roy lit B. Piret, C. Braillon, L. Montel et P.-L. Plasman (Dir.): Droit et Justice en Afrique coloniale Traditions, productions et réformes

01/07/2016 Étienne Le Roy : Sous la direction de Bérengère Piret, Charlotte Braillon, Laurent Montel et Pierre-Luc Plasman : Droit et Justice en Afrique coloniale Traditions, productions et réformes Bruxelles, Publications de l’Université Saint-Louis, Collection Travaux et recherches, 2013, 199 p.

Cette publication réunit sept monographies dont les auteurs sont pour quatre d’entre eux les « editors » de l’ouvrage, majoritairement de jeunes chercheuses et chercheurs, voire même des doctorants, également belges et français. Ils ont prioritairement pour objet central ce qui est devenu successivement l’État indépendant du Congo, le Congo belge, le Zaïre puis la République démocratique du Congo, avec deux contributions précieuses sur le Dahomey devenu Bénin et l’Algérie.

Les contributions sur cette thématique étant rares et les analyses bien conduites et argumentées, sans positions dogmatiques a priori, l’ensemble se révèle précieux. Cet ouvrage, malgré un volume restreint, marquera l’histoire du droit colonial et devra figurer dans toutes les bonnes bibliothèques tant la manière d’aborder les questions juridiques et judicaires enrichit opportunément les problématiques. En privilégiant en particulier ce genre littéraire qu’est la prosopographie(1), description des attitudes et comportements des individus, nos auteurs retrouvent des pratiques scientifiques qui sont familières aux anthropologues du droit pour qui le droit n’est pas tant ce qu’en disent les textes que ce qu’en font les acteurs. Ainsi, ce n’est pas sans raison que plusieurs de nos auteurs rendent un hommage mérité à Jacques Vanderlinden qui n’est pas seulement congolais par sa naissance mais un des innovateurs dans le domaine de la recherche sur le droit coutumier puis sur le pluralisme juridique. Il est également un illustrateur de la recherche en anthropologie juridique avec un ouvrage publié chez Dalloz en 1996. Mais de cette partie de sa recherche comme de l’anthropologie du droit de manière plus générale il ne sera question que dans deux notes documentaires (p. 15 et 16), la ligne rouge semblant passer par Bernard Durand dont le dernier ouvrage a été présenté récemment dans Mondes et cultures.

Si on peut s’étonner de ce qui ne saurait être un oubli car la matière d‘Anthropologie juridique fut enseignée pendant plus de vingt ans aux Facultés universitaires Saint-Louis, on peut aussi le regretter car l’enrichissement des travaux aurait pu, sur les plans théoriques et épistémologiques qui font l’objet des introduction et conclusion, se transformer en un vrai renouvellement des problématiques.

Les contraintes de place ne permettent pas à nouveau de détailler les monographies alors que chacune mérite une attention soutenue. J’ai particulièrement apprécié les ouvertures que proposent les textes de Pierre-Luc Plasman sur l’établissement du pouvoir judiciaire au Congo léopoldien puis celui de Laurence Montel sur le contrôle des magistrats dans le même contexte. À défaut d’humanité, Léopold II avait eu l’intelligence de s’entourer d’hommes particulièrement compétents qui sont amenés à gérer la pénurie et les insuffisances criantes d’un État de pacotille.

J’ai été également interpellé par les analyses relatives aux confusions entre régime de l’indigénat et justice indigène au Dahomey de Laurent Manière et Bénédicte Brunet-La Ruche et le contrôle des justices indigènes par la procédure d’annulation au Congo belge, par Charlotte Braillon. On y sent bien la pression constante du politique sur le judiciaire.

Enfin, la fabrique du droit, qu’il soit coutumier chez Amandine Lauro ou celui des Juifs en Algérie suite au décret Crémieux de 1870 avec Florence Renucci, fait référence à un artisanat juridique, avec son savoir-faire et son savoir-penser, bienvenu depuis les travaux de Pierre Legendre.

De l’introduction de Xavier Rousseau, «  Vers une histoire post-coloniale de la justice et du droit en situation coloniale » » (p. 9-26), on retiendra l’intérêt d’ouvrir ces travaux aux études post-coloniales suite aux publications de J.-F. Bayart et R. Bertrand, même si certaines portes prétendument fermées étaient déjà bien fréquentées. Mais on regrette aussi l’absence de regard critique sur la décolonisation du droit en Afrique. Affirmer que «  un des legs coloniaux les moins contestées est pour l’Afrique le découpage des États et la structure administrative et juridique de ceux-ci » (p. 15) relève d’un occidentalocentrisme que l’on croyait dépassé. C’est en effet, comme on le constate actuellement dans la question malienne mais aussi en Iturie, tout cet héritage qui doit être maintenant refondé en passant d’un unitarisme institutionnel à un pluralisme normatif de meilleur aloi.

Les « Perspectives » tracées par Nathalie Toussignant en conclusion (p. 189-198) sont par contre plus convaincantes. On est, avec elle, convaincu que « force est de constater qu’il a fallu repartir à la base dans l’étude du droit, de l’administration et des pratiques judiciaires au Congo » (p. 189), même si nous différons sur l’échelle de la profondeur qui s’arrête ici encore à la société coloniale, voire aux rares « évolués ». On apprécie également qu’elle fasse confiance dans les nouvelle générations pour défricher les « opportunités afin de construire des problématiques qui entrent en résonance (…, p. 190) » avec des logiques d’histoire globale. J’accepte aussi l’idée, pas toujours rassurante, que « si les individus, notamment les juristes coloniaux, bougent, ils le feraient selon des itinéraires bien balisés » (ibidem) car, dans le cas, le conservatisme a toujours tendance à l’emporter.

Je regrette avec elle l’abandon des études africaines en Europe, englobées (et engluées) dans l’histoire globale (p. 192), et le peu de cas fait de l’historiographie de la justice en Afrique, le défi étant, dit-elle, de « combiner les deux héritages historiographiques » (idem). Enfin, en traçant les bases d’un nouveau programme, cette auteure propose de privilégier deux dimensions, le contexte et les hommes.

Quant au « contexte politique, économique et social d’abord, on peut relever que si l’entreprise coloniale semble être le fait du Roi, le Roi seul ne peut rien » (p. 197). C’est en effet essentiel mais sans hagiographie car de grands conseillers cachent parfois de belles fripouilles.

Les hommes ensuite ont, avec raison et en rapport avec ce que j’en ai dit au début de ce recensement, un rôle éminent. Je ne peux qu’être pleinement en accord avec une de ses dernières observations. « Jusqu’ici, ce sont surtout les Européens qui ont été au cœur du travail des historiens. Biais disciplinaire ou biais des sources mobilisées ? En tous cas, il nous faudra être attentif et pleinement intégrer la participation et l’action des Congolais dans ces analyses » (p. 198). Un autre beau et urgent défi à relever car le biais est aussi idéologique.

Étienne Le Roy

1) L’usage du terme est discuté en conclusion par Nathalie Toussignant qui souhaite qu’on s’attache plutôt aux cultures communes des colonisateurs et à leurs imaginaires, bien au-delà des cultures juridiques (p. 198).

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