11 11 2009 : Street art : bien ténues sont les limites entre la gloire et l’infamie !

Un beau point d’interrogation en vert au coin de rues plutôt bien fréquentées, est interpellant. Surtout qu’il est répété de part et d’autre du coin. Encore un tag qui va faire l’objet d’un effacement rapide par la Mairie ! D’ailleurs, pour persister malgré l’effacement permanent qu’on évoquait le 2 août, les témoignages identitaires MDL 75014 sont maintenant taggués directement sur les rideaux de la crèche, plus difficilement nettoyables que les murs prévus à cet effet.

On aperçoit une masse au fond, approchons un peu.

Le tagueur sur cette face semble déprimé, poursuivant ses points d’interrogation en les faisant encadrer le mot « lost ». Des tags s’agitent un peu plus loin, gris, rouge, peu de forme lisible.

Une odeur de peinture se fait sentir. En s’approchant, la vieille boutique est bien tagguée, comme on peut le voir dans des centaines de quartier, même s’il semble un peu surprenant qu’ils n’aient pas été nettoyés dans ce beau quartier ! K2T, AHRRI WIB, DFP, NWS, etc, beaucoup de monde s’est acharné sur cette devanture. A priori qui ne prend pas le RER A, car ils ne sont pas repérés par Alain Vulbeau dans son dernier listing (Légendes des tags, Ed Sens et Tonka 2009).

Mais on sent une progression artistique avec l’arrivée de ce visage barbu, qu’on dirait inspiré par Buffet et Rouault, « I want NY DJ ? » DIA a apposé sa marque par dessus.

Bon ! Là on a compris qu’on entrait à la frontière du graff. Transformer la signature tag en art graff, est semble-t-il l’objectif. Il est vrai que ce visage n’est pas désagréable, posé entre la devanture et ce qu’on devine un univers plus propret à droite. Il occupe un mur de séparation qui comble l’espace entre les deux bâtiments, espace à l’évidence récusé par les architectes qui en ont bouché l’accès visuel avec ce muret.

Avançons donc sur ces traces.

Oui, il s’agit bien d’un espace intermédiaire, d’un interstice que ce visage occupe. A coté, à droite, il y a un je ne sais quoi d’étrange. Les tags du haut sont très en désordre, on n’y sent pas cette volonté de recouvrir les uns et les autres, bien perceptible sur la devanture, et même sur le visage. La palissade du bas sur laquelle un graff apparaît, quant à elle, est un peu artificielle. Reste ce visage de l’interstice qui, vu sous cet angle semble implorer pardon. Pardon pour ce qu’il a fait, pour ce qu’il introduit, pour ce qui va suivre.

Nous voilà dans ce haut lieu de l’art branché contemporain : la Fondation Cartier, qui, tout en tirant ses ressources du grand luxe, procède à une installation de graff.

La palissade est un lieu de création in vivo avec le graffeur en action (sans masque au passage alors que ceux, clandestins, croisés cet hiver à Athènes, au moins se protégeaient des effluves d’hydrocarbures émises par leurs bombes) dessinant d’insensées provocations : Mickey, portant un tee-shirt mortel, fait un doigt d’honneur ! Quel culot ! Mais c’est sur une palissade, ce sera démonté, et sans doute revendu.

Là-haut, sur le verre, les tags ont disparu ou bien sont devenus des inscriptions ésotériques.

Au passage, il faut reconnaître que ce Mitterrand Mickey pleurant toutes les larmes de son corps est pas mal vu.

La surprise vient de la suite, la queue, l’immense queue de personnes qui vont payer pour visiter l’exposition de graffs et de tags au sein de l’institution la plus huppée, la plus luxueuse qui puisse être imaginée. Ces mêmes individus se réunissent probablement en comité de quartier pour exiger de la Mairie qu’elle nettoie les murs, qu’elle garde propre l’espace public. Ici, les gestes de taguer, de graffer portent une légitimité artistique. C’est dans la Fondation Cartier, c’est donc devenu de l’ART. L’interstitiel domestiqué par son institutionnalisation. Serait-ce aussi pour contempler ce que les nouveaux sauvages des banlieues produisent ? A deux pas du Musée Branly, un nouveau primitivisme…

Du coup, à droite du visage barbu, se situe la Gloire, avec un homme qui publiquement et parfois sous les applaudissements, gribouille une fausse palissade érigée le long d’un bâtiment sophistiqué et consacré à la CULTURE. Les visiteurs paient pour voir les oeuvres.

Mais à gauche de ce visage (la latéralité est un hasard et n’a semble-t-il pas de signification politique) l’Infamie, la mauvaise réputation des tags sur la vitrine abandonnée, actes répréhensibles d’incivilité qui peuvent mener à la prison. Les citoyens paient pour les effacer.

On comprend que ce visage intersticiel, probablement peint sur commande et recouvert par les taggeurs clandestins, ait des allures de pardon.

Encore un signe que la grand force du système actuel est de toujours savoir intégrer et gérer en sa faveur toutes les formes d’opposition, même celles qui étaient au départ les plus radicales.

Le mur de Berlin, précisément, dont on célèbre jusqu’à la nausée l’effondrement, n’était tagué que du coté Ouest. L’Est était resté gris, faute de peinture. La leçon à retenir serait-elle qu’il faudrait taguer clandestinement tous les murs érigés entre les hommes, pour comprendre qu’on est du bon coté ?

Oui, mais attendons que l’exposition s’achève pour voir comment les vigiles de la Fondation réagiront lorsque leurs caméras de vidéo surveillance montreront des taggeurs pressés de mettre leur marque, voire de graver des « gravitis » comme les nomme Alain Vulbeau, sur les vitres du bâtiment de Nouvel. La file des visiteurs sera peut-être moins enthousiaste à l’égard de cette production ! En tous cas on peut être sûr qu’ils n’iront pas au secours du tageur cagoulé lorsqu’il sera arrêté et jeté aux affres de l’Infamie.

Profitez donc de cette heure de gloire, elle ne durera pas…

PS: La brochure de l’exposition dans son dernier paragraphe ne peut pas être plus explicite sur le glissement de la gloire à l’infamie :

PPS: Et voilà l’IAURIF qui en rajoute dans son rapport d’activité 2008-2009

Épilogue : Voilà deux mois après (30 janvier 2010) un espace rudement bien nettoyé!!!! Tout est redevenu dans l’ordre de la bienséance.

Trois ans plus tard, la figure mi-Matisse, mi-Rouault a à son tour disparu, l’interstice entre le bâtiment de Nouvel à droite et la boutique (toujours inoccupée) à gauche, est devenu lisse, neutre, mais pas invisible pour autant :

 

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